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Code = NESTOR
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Code = NESTOR
En deux mots, c'est quoi ?
C'est un mec... Qui a peut-être pas trop bien compris comment il s'est retrouvé avec ce nom de code, d'ailleurs. Il le doit à sa mémoire et au héros grec du même nom, mais ça on s'en fiche. Ce qui compte c'est qu'il a une mémoire d'éléphant et qu'on lui demande de s'en servir. L'ennui, c'est que le job est éprouvant pour les nerfs et que notre homme a parfois des envies de se la jouer pantoufle.
23 octobre 2010

Près de la mer d'où rien ne viendra jamais

Comme tous les jours, Veit vérifie une dernière fois son fusil avant de descendre, puis il se lève en regardant l'heure à l'horloge de l'église, de l'autre côté de la place.

Il descend l'escalier, qui ne craque pas, et personne ne fait attention à lui quand il traverse la salle. Il s'attarde un instant, pourtant, à cause de la musique. Un CD d'un groupe tzigane. C'est beau, et en plus ça lui rappelle sa grand-mère. Il aimerait bien s'asseoir et écouter cette musique avec le jeune couple et leurs enfants, mais il n'a pas le temps. A cause du clocher qui fait face à sa fenêtre, ses supérieurs ne lui passent aucun retard d'aucune sorte.

Donc, comme tous les soirs, Veit sort de la maison et coupe à travers la pâture à vaches pour aller plus vite. Il n'y a plus de vaches, mais c'est quand même la pâture à vaches. A la place des vaches, il y a des balançoires et un bac à sable, et puis des tas de fleurs organisées en petits carrés tenus par des entrelacs de branches. C'est joli, ça aussi. Et puis ça sent meilleur que le fumier.

2010-10-23-a

Après la pâture à vaches qui n'est plus une pâture, Veit devrait traverser la cour de la ferme voisine, mais la ferme voisine n'est plus là non plus. Alors il traverse le supermarché. Il évite soigneusement le rayon jouets. Les petits soldats en plastique l'agacent au plus haut point. Il évite aussi le rayon journaux, à cause des revues de maquettisme militaire, sorte de jouets de guerre pour grands enfants. Entré par la porte d'entrée des fruits et légumes, il ressort par celle de la boulangerie. Il se dépêche. Il n'a pas le droit d'être en retard.

Ca n'est pas qu'il tienne tant que ça à être un bon soldat, mais lui, ses frères et soeurs, leurs parents, aussi, toute la famille, quoi, ils ont bien de la chance que personne ne se soit rendu compte de l'existence dans leur généalogie de cette grand-mère à moitié tzigane. Qu'est-ce qui se passerait si quelqu'un s'en rendait compte ? Surtout qu'un des beaux-frères de Veit a été arrêté, voilà six ans et qu'on ne l'a jamais revu !

Veit est en vue du blockauss. Il s'arrête un instant et pense à ce pauvre Ignaz dont le bistrot était un lieu tellement agréable pour tous ceux qui aiment discuter de choses et d'autres ! Mais il va être en retard... Alors il recale son fusil sur son épaule et se dépêche de rejoindre le blockauss.

Veit ne sait pas pourquoi il est aussi pressé.

Tous les jours, c'est pareil. Il se dépêche et il ne sait pas pourquoi il est pressé. Il sait qu'il faut qu'il le soit et pourtant il sait que c'est idiot parce que de toutes façons, ce blockauss fait face à une mer d'où rien ne viendra jamais. Qui serait assez idiot pour organiser un débarquement à cet endroit ? La chose a été tentée, déjà, au début de la guerre, et cette tentative a été un échec total. Quand Veit a été envoyé ici, sa femme lui a écrit, dans une de ses lettres « Je suis tranquille, là, on ne se battra pas. ». Il devrait se contenter, tout simplement, de ne se faire remarquer ni en bien, ni en mal, et attendre... Attendre...

Attendre quoi ?

C'est bien ça le problème... Veit ne sait pas ce qu'il attend.

2010-10-23-b

Mais comme il faut attendre, il pose son fusil et s'assied dans le blockauss et il cherche une cigarette. Il n'y a plus de tabouret, dans le blockauss, alors il s'assied où il peut. Il n'y a plus de blockauss, non plus, d'ailleurs, alors il s'assied sur un bloc de béton. Il est bien, là, à attendre. Il regarde cette mer d'où rien ne viendra, et cette plage pleine de parasols colorés. Normalement, ça devrait être des piquets de fer et des barbelés, mais les choses changent tellement... Et puis il y a un air de musique dans l'air. Il écoute. C'est rythmé et dansant. Il aime bien ces soirs d'été où les vacanciers déboulent sous son blockauss. Parfois, même, il y a des enfants qui viennent y jouer.

C'est quand même plus amusant d'attendre au milieu de tout ça qu'en hiver quand la plage est déserte.

Et puis, il prête l'oreille, en même temps. Il n'y a plus d'horloge dans le blockauss, alors l'heure, pour lui, c'est celle de l'église. C'est elle qui lui dit à quelle heure sa garde se termine, comme elle lui dit à quelle heure il doit aller la prendre.
Comme tous les soirs depuis le premier soir où c'est arrivé, en revenant vers le village, il croise deux gars avec des blousons de toile un peu trop usés pour être honnêtes et des besaces et il fait semblant de croire qu'ils vont ramasser du varech ou des coquillages.

Et puis, comme tous les soirs, il retraverse le supermarché, traîne un peu dans le jardin aux balançoires, un peu plus dans la salle à manger, et finalement remonte dans sa chambre qui a une fenêtre juste en face du clocher. Et là, comme tous les soirs, il s'apprête à poser son fusil et retirer sa veste quand une voix, dans la cour, en allemand, l'appelle et lui dit de descendre. Ca a l'air pressant. Il dégringole l'escalier, traverse en courant la salle où le jeune homme qui a fait l'acquisition de la maison deux ans plus tôt, est en train d'expliquer à un ami qu'il habite une authentique maison hantée. Le voilà dans la ruelle, en train de courir vers la place. Pourquoi vers la place? Il n'en sait rien, mais il sait que c'est là qu'il doit aller.
Seulement, il n'y arrive pas. C'est toutes les nuits la même chose. Toutes les nuits à l'instant où il débouche sur la place du village, Veit reçoit une balle entre les deux yeux.

 

2010-10-23-c

 

Les guerres sont pleines de gens qui ne comprennent pas ce qu'ils fichent là et ne le comprendront jamais.

 

 

 

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Conte indépendant  de l'ensemble "Code = NESTOR"

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